lundi 8 février 2010

“Personnes”


“Les commentateurs de l'oeuvre de Christian Boltanski "Personnes" au Grand Palais, évoquent la mort, évoquent les grandes catastrophes humaines et bien sûr et surtout l'holocauste.
Seul dans les travées, hypnotisé par les battements de coeur, par les battements de tous les coeurs, hypnotisé entièrement, je vois les vêtements au sol. Ce sont des vêtements pauvres. Ce sont des vêtements de pauvres qui reviendront aux pauvres. Et je les imagine dans le magasin, neufs. Je les imagine juste achetés, avec l'étiquette, encore et pour certains quelques épingles. Je les imagine une première fois portés. J'ai envie de pleurer. Ils sont la trace de tant de désirs, de désirs pauvres, de désirs de pauvres. Ainsi, je ne vois pas la mort dans l'exposition de Christian Boltanski mais la trace de tant de désirs que, dans le coeur de l'émotion, les battements de coeur deviennent soudain graves et joyeux”.(1)

Je me suis permis de citer le texte de P. Oudart sur cette exposition car il traduit mieux que je ne saurai le faire les sentiments reçus lors de cette visite. L’organisation, la division du sol en travées. Autour, partout des vêtements. Pauvres protections des corps, désirs de coquetterie de séduction. Tailles adultes et enfants confondues sous la lumière plate des néons. Manteaux et brassières. Ce qu’il reste de ce qui fut porté, de ce qui a enveloppé des corps. Et puis le son des battements de coeurs, chaque battement différent mais qui offre le bruissement d’une grande vague humaine. En situant notre humanité au plus bas, Boltanski donne une immense énergie à notre condition même si plus loin une grue vient happer et laisser retomber en tas ces dépouilles. Porosité contemporaine de l’art à l’événementiel.
Comment voir ? Comment regarder ? C’est toujours un problème de cadrage, pas formel mais moral. C’est la réponse de G. Didi Huberman à la lettre de P.P. Pasolini sur la disparition des lucioles. “ Les lucioles n’ont disparues qu’à la vue de ceux qui ne sont plus à la bonne place pour les voir émettre leurs signaux lumineux. On tente de suivre la leçon de Walter Benjamin, pour qui le déclin n’est pas une disparition. Il faut “organiser le pessimisme”, disait Benjamin. Et les images - pour peu qu’elles soient rigoureusement pensées, pensées par exemple comme images-lucioles - ouvrent l’espace pour une telle résistance.” (2) De biens fragiles lumières certes, mais une exposition qui évoque le désir, la vie, son obstination, son courage.

(2) Survivance des lucioles. G. Didi Huberman. Ed de minuit