dimanche 28 mars 2010

Conversations, Jean Luc Godard et André S. Labarthe.

Extrait du coffret dvd 
" Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard"
filmés par Alain Fleischer, Editions Montparnasse, 2007

dimanche 21 mars 2010

" Voir/Parler "

Extrait de la conférence
" Qu’est-ce que l’acte de création ?
" Gilles Deleuze

"Cadavre"
" Ou bien je parlerai de, autre exemple, idée proprement cinématographique, de la fameuse dissociation Voir/Parler dans un cinéma relativement récent. Que se soit, alors là aussi, je prends les cas les plus connus, que se soit Syberberg, que se soit les Straub, que se soit Marguerite Duras, qu’est-ce qu’il y a de commun ? Voyez, en quoi c’est proprement cinématographique, ça c’est une idée cinématographique. Faire une disjonction du visuel et du sonore, c’est heu… pourquoi ca ne peut pas se faire au théâtre, pourquoi ? Ca peut se faire, mais appliqué alors là si cela se fait au théâtre, sauf exception, à moins que le théâtre ait les moyens de le faire, on pourra dire que le théâtre l’a appliqué du cinéma. Ce qui n’est pas mal, forcement. Mais c’est une idée tellement cinématographique d’assurer la disjonction du voir et du (sonore) et du parler. Du visuel et du sonore. Ca c’est … ça répondrait à l’idée : qu’est-ce que, par exemple, avoir une idée cinématographique ? Et tout le monde sait en quoi ça consiste, je le dis à ma manière pour, une voix parle de quelque chose, en même temps, donc, on parle de quelque chose, en même temps on nous fait voir autre chose, et enfin, ce dont on nous parle est sous ce qu’on nous fait voir. C’est très important ça, ce troisième point. Vous sentez bien que c’est là que le théâtre ne pourrait pas suivre. Le théâtre pourrait assumer les deux premières propositions. On nous parle de quelque chose et on nous fait voir autre chose. Mais que ce dont on nous parle en même temps se mette sous ce qu’on nous fait voir - et c’est nécessaire, sinon les deux premières opérations, elles n’auraient aucun sens , elles n’auraient guère d’intérêt - si vous préférez, on peut dire, alors en termes plus…, la parole s’élève dans l’air, la parole s’élève dans l’air en même temps que la terre qu’on voit, elle s’enfonce de plus en plus, ou plutôt en même temps que ce dont cette parole qui s’élève dans l’air nous parlait, cela dont elle nous parlait s’enfonce sous la terre.
Qu’est-ce que c’est que ça ? Si il n’y a que le cinéma qui puisse faire ça. Je ne dis pas qu’il doive le faire, hein, qu’il l’ait fait deux ou trois fois, je peux dire simplement, c’étaient de grands cinéastes qui ont eu cette idée. Il ne s’agit pas de dire c’est cela qu’il faut faire ou pas faire, hein. Il faut avoir des idées, quelles qu’ elles soient . Ah !, ça c’est une idée cinématographique, je dis que c’est prodigieux, parce que ça assure au niveau du cinéma une véritable transformation des éléments. Un cycle des grands éléments qui fait que, du coup, le cinéma fait un grand écho avec, je ne sais pas, avec une physique qualitative des éléments. Ca fait une espèce de transformation, l’air, la terre et l’eau le feu, parce qu’il faudrait ajouter, j’ai, on n’a pas le temps, évidemment, on découvrirait le rôle des deux autres éléments, une grande circulation des éléments dans le cinéma. Une grande circulation des éléments dans le cinéma. Dans tout ce que je dis, en plus, ça ne supprime pas une histoire, hein, l’histoire est toujours là, mais ce qui nous intéresse, c’est pourquoi l’histoire est-elle tellement intéressante ? Sinon pourquoi il y a tout ça derrière et avec. C’est tout à fait ce cycle, tel que je viens de le définir si rapidement, la voix s’élève en même temps que ce dont parle la voix s’enfonce sous la terre, vous avez reconnu la plupart des films de Straub, et c’est le grand cycle des éléments chez les Straub. Ce qu’on voit, c’est uniquement la terre déserte, mais cette terre déserte, elle est comme lourde de ce qu’il y a en dessous, et vous me direz “ mais ce qu’il y a en dessous, qu’est-ce qu’on en sait ?“ Ben, c’est justement ce dont la voix nous parle. et c’est comme si la terre, là, se gondolait de ce que la voix nous dit, et qui vient prendre place sous la terre, à son heure et en son lieu. Et si la terre et si la voix nous parle de cadavres, c’est toute la lignée des cadavres qui vient prendre place sous la terre, si bien qu’à ce moment là, le moindre frémissement de vent sur la terre déserte, sur l’espace vide que vous avez sous les yeux, le moindre creux dans cette terre, tout cela prend sens."

Conférence de Gilles Deleuze donnée dans le cadre des mardis de la fondation Femis - 17/05/1987