dimanche 19 décembre 2010

La folie Eisenstein

"Contrairement à Brecht, Eisenstein ne s’est jamais soucié d’instruire, d’apprendre à voir et à mettre à distance. Tout ce dont Brecht prétendait purger la représentation théâtrale – identification, fascination, absorption -, il a voulu, au contraire, en capter et en majorer la puissance. Il n’a pas mis le jeune art cinématographique au service du communisme. Il a bien plutôt mis le communisme à l’épreuve du cinéma, à l’épreuve de l’idée de l’art et de la modernité dont le cinéma était pour lui l’incarnation, celle d’une langue de l’idée devenue langue de la sensation. Un art communiste n’était pas pour lui un art critique, visant à une prise de conscience. Il était un art extatique, transformant directement les connexions d’idées en chaînes d’images, pour instaurer un nouveau système de sensibilité.

C’est là qu’est le fond du problème. Nous n’en voulons pas à Eisenstein des idéaux qu’il voulait nous faire partager. Nous lui en voulons parce qu’il prend à revers notre prétendue modernité. Il nous rappelle cette idée de la modernité artistique à laquelle le cinéma, un temps, crut pouvoir identifier sa technique : l’art anti-représentatif qui allait substituer aux histoires et aux personnages d’antan la langue des idées/sensations et la communication directe des affects. La jupe amoureusement arrachée de Marfa ne nous renvoie pas seulement à un siècle d’illusions révolutionnaires passées par le fond. Elle nous demande aussi en quel siècle nous vivons nous-mêmes, pour prendre, avec notre Deleuze dans la poche, tant de plaisir aux amours sur un vaisseau qui sombre d’une jeune fille de première classe avec un jeune homme de troisième classe".
« la fable cinématographique » Jacques Rancière.

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