vendredi 13 janvier 2012

Dans quel état sont les ruines ? I


Ces polaroids ont été réalisés en 2005 et 2006. L’évocation des ruines s’est faite un peu malgré nous lors d’une autre thématique dédiée au paysage dans la peinture et la photographie. Nous les présentons sans chronologie, avec des extraits de textes. C’est une tentative de méditation entre les images et la poésie de l’écrit.
MC. PR.










" Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. De quelques part que je jette les yeux ; les objets qui m’entourent m’annoncent une fin, et me résignent à celle qui m’attend. Qu’est-ce que mon existence éphémère, en comparaison de celle de ce rocher qui s’affaisse, de ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancelle, de ces masses suspendues au-dessus de ma tête et qui s’ébranlent. Je vois le marbre des tombeaux tomber en poussière, et je ne veux pas mourir, et j’envie un faible tissu de fibres et de chair à une loi générale qui s’exécute sur le bronze. Un torrent entraine les nations les unes sur les autres, au fond d’un abîme commun ; moi, moi seul, je prétend m’arrêter sur le bord et fendre le flot qui coule à mes côtés !
Si le lieu d’une ruine est périlleux, je frémis. Si je m’y promets le secret et la sécurité, je suis plus libre, plus seul, plus à moi, plus près de moi. C’est là que j’appelle mon ami. C’est là que je regrette mon amie. C’est là que nous jouirions de nous, sans trouble, sans témoins, sans importuns, sans jaloux. C’est là que je sonde mon cœur. C’est là que j’interroge le sien, que je m’alarme et me rassure. De ce lieu, jusqu’aux habitations des villes, jusqu’aux demeures du tumulte, au séjour de l’intérêt, des passions, des vices, des crimes, des préjugés, des erreurs, il y a loin.

(…)
O censeur qui réside au fond de mon cœur, tu m’as suivi jusqu’ici ; je cherchais à me distraire de ton reproche, et c’est ici que je l’entends plus fortement. Fuyons ces lieux. Est-ce le séjour de l’innocence ? est-ce celui du remord ? c’est l’un et l’autre ; selon l’âme qu’on y porte. Le méchant fuit la solitude ; l’homme juste la cherche. Il est si bien avec lui-même".

Diderot. « Ruines et paysages ». III Salon de 1767. Ed. Hermann.

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