dimanche 22 janvier 2012

Dans quel état sont les ruines ? II











(…) Pourtant, même si la ruine est indissociable dune élaboration pratique et discursive, quelque chose dirréductible subsiste en elle. Car il reste à justifier, par exemple, quelle puisse être loccasion dune véritable expérience esthétique. On est ainsi reconduit à la question initiale : quest-ce quêtre en ruine, et comment prendre plaisir à ce qui est leffet dune destruction ? Comment beauté et présence peuvent-elles naître de la dégénérescence même ? Tout se passe comme si la ruine avait atteint une sorte de dépouillement éternel, comme si, à force davoir été accidentée par le temps, elle accédait à une forme de permanence, et que, du naufrage et de la déchéance, quelque chose émergeait comme une éclosion. La ruine nest plus, dans cette perspective, une trace du passé mais ce qui accède à une forme déternité dans et par la caducité même : non plus souvenir mais présence de quelque chose denfoui jusqualors sous le bâtiment impeccable. Ces statues amputées, mutilées, outragées seraient-elles si émouvantes si elles avaient conservé leur intégrité ? Pourquoi sommes-nous parfois plus touchés par le fragment que par lœuvre intacte ? Par leffet du temps, la ruine est « désœuvrement de lœuvre ».

"Le temps à l’œuvre" Martine Lucchesi

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