Représentations vidéographiques du paysage
Entretien avec Patrick Renaud :
photographies & vidéos.
Comment le paysage est-il entré dans vos images ? Etait-il dès le départ l'objet de votre travail, ou bien y êtes-vous venu par le prisme d'un autre sujet ?
J’avais pratiqué le dessin de paysage, peut-être par réceptivité aux impressionnistes. Le paysage était une impression globale, une totalité déposée sur la terre que je pouvais à mon tour déposer sur le papier. Le paysage n’avait pas de limites, juste des lointains, c’est ce que je préférais, jusqu’où mon regard pouvait aller, dessiner l’horizon de manière imprécise sachant qu’ensuite derrière cette ligne ça continuait. Plus tard, j’ai commencé à photographier peut-être plus la campagne que le paysage, pour les lumières, les atmosphères. Avec l’appareil photo il fallait s’occuper du cadre c’est à dire exclure pour voir ce qui reste. J’étais assez désorienté et pas très doué.
Vous pratiquez la photographie à la chambre. Vous cosignez certains travaux vidéos et sténopés sur Polaroids avec Marie Combes. Quels paysages appellent l'un ou l'autre et pourquoi ? Certains paysages sont-ils pensés en mouvement et d'autres figés ? Certains paysages s'imposent-ils en couleur ou noir et blanc ?
Votre travail sur le paysage appelle une certaine réflexion sur le temps. Dans vos sténopés et vos vidéos c'est un déploiement du paysage. Pour Montromant, vous avez filmé pendant plus de 3 heures les changements de lumières infimes. Quelle expérience du temps, vous donne à voir un paysage ?
C’est très complexe la façon de regarder un paysage. L’œil va chercher au loin, puis s’attarde sur des zones, s’éloigne à nouveau, flotte sur des éléments. C’est ce mouvement entre l’œil et le cerveau qui dans ces écarts permet de constituer un paysage. Après l’expérience des sténopés, nous souhaitions avec Marie voir le rapport entre le temps et la durée. Techniquement « Montromant » est une séquence photographique de trois heures, durant laquelle nous prenions une photo à intervalles irréguliers. Ces images numériques montées en fondus enchaînés, donnent une projection du paysage qui dure treize minutes ou les variations de lumières ont une durée « crédible » pour l’œil alors que le temps a été compressé. Dans le fondu enchaîné c’est apparition/disparition, l’effacement d’une image pour la suivante. Effectivement c’est une façon pour le paysage de sortir de ses plis par proximité avec la contemplation, être et ne plus être là.
Vos travaux récents portent sur les sols. Paysages & sols sont très liés. Comment ce passage s'est-il fait ? Quelle matière y trouvez-vous ? Quelle mémoire du paysage s'inscrit dans les sols ?
Il paraît que dans une image il y a souvent la suivante, et je crois qu’au-delà du sujet comme prétexte, le rôle de l’artiste et de faire apparaître quelque chose qu’il ignore qui appartient au médium, aux formes, aux lumières. La série sur les sols en noir et blanc évacue le lointain pour tenter de trouver du paysage à une autre échelle et distance. Là aussi je travaille en diptyque peut-être pour sentir qu’il ne s’agit que de fragments, que l’ensemble est faux avec ses deux perspectives. Parfois il y a un « mauvais raccord », c’est à dire une répétition d’une partie de la photo à l’autre, deux détails identiques et pourtant dans un autre moment quelques secondes avant ou après. C’est très précieux ces accidents, ces choses qui arrivent par hasard. Il y a eu aussi l’apparition d’une certaine frontalité, avec l’image. J’ai tenté de développer cela en photographiant les sols vus de dessus. Mais ça ne fonctionnait pas en noir et blanc, j’ai donc travaillé en couleur par défaut, et pour la première fois peut-être je cherchais les couleurs. Les sols sont la mémoire vivante des lieux. Ils sont dépositaires du temps, de nos activités, de traces, ils bougent se déforment, de nouveaux sédiments se déposent. Une machine vient les retourner, plaquer une couche de bitume, des choses ont disparues, on a oublié, à nouveaux ça recommence. Les sols sont comme une pellicule qui enregistre en permanence les empreintes, les changements de lumière.
Vous vous êtes intéressé à la notion de ruines dans le paysage. Notamment dans les paysages ruraux. D'où vient cet intérêt ? Est-ce là aussi votre intérêt pour le temps qui se déploie ?
J’aurai beaucoup de mal à répondre. Ce projet avec Marie était trop ambitieux pour nous. Nous pensions tenir un sujet qui irait plus loin que le « Ruinisme » de mode avec cette esthétisation de la ruine industrielle. Nous avions ce texte magnifique, émouvant de Diderot sur ses sentiments que lui évoquent les ruines. Voilà, un ratage complet. Je pense que nous n’avons pas laissé assez de hasard, d’ouvertures, de vouloir maîtriser, de vouloir aussi illustrer le texte et voilà, trop de « vouloir ».
Pour finir, j'aimerai qu'on aborde la question du contemporain dans le paysage. Vous connaissez la citation suivante d'Agamben « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau des ténèbres qui provient de son temps. » Quel contemporain voyez- vous dans les paysages que vous photographiez ou filmez ?
La création vidéo est je crois actuellement plus exploratrice, moins embarrassée des contraintes du marché de l’art que la photographie. Elle crée un langage différent du cinéma, notamment avec le temps. Avec son espace aussi qui apparaît moins à l’intérieur du cadre mais déborde de l’écran. Une caméra vidéo ça s’installe n’importe où et quand elle est placée sur le corps, elle en devient le prolongement. Là c’est passionnant car cela modifie la vision du spectateur et sa temporalité. Il n’est plus assigné à cette place installée avec la perspective depuis la Renaissance. Il me semble qu’être contemporain ce n’est pas photographier ou filmer notre présent c’est voir les liens entre présent et passé, être une transition, devenir un pont mais un pont qui se ferait et déferait en même temps sans savoir où est l’autre rive.
Entretien réalisé le 26.03.2014
par Chloé Dragna.
BALLADSA videographic vision of landscape
An interview with Patrick Renaud :
How did the
landscape enter your image world ? Was it from the start the object of
your work, or were you diverted to it from some other subject?
I had, long ago, done a lot of landscape drawing, maybe because I was very
receptive to the impressionists. The landscape was, indeed, a global
impression. A whole deposited on the earth that I, in turn, could deposit on
paper. The landscape had no limits, only a distance, and that was what I
preferred. I liked to represent how far my eyes could see, to draw a fuzzy
horizon, knowing that beyond that uncertain line things went on. Later, I began
to take photographs, maybe more on the countryside than of the landscape, for
its light, for its atmosphere. With the camera I had to cope with the frame, I
had to exclude, to see what remained. I was rather puzzled, and not very
gifted.
You mostly use dark chamber photography. You have cosigned some video and
pinhole-camera work on Polaroid with Marie Combes. What landscapes call for one
or the other technique, and why ? Are some landscapes imagined moving, and
others frozen still? Are some landscapes by essence in colour and others in
black and white?
You are right, the landscapes do the asking. I adopted the dark chamber to
get away from the spontaneity of the 24x36 camera. To escape from the
« decisive moment » culture I was trained into. This is quite
paradoxical, as I was working in the undergrowth, on the unbounded tangle of a
seemingly unruly vegetal world. Using a dark chamber requires some serenity,
anticipating positioning and framing, complex manipulations. The dark chamber
does not encourage movement. All around me I would hear sounds, I would be
aware of the quivering of nature, the urgency of life. I could feel that all
this vegetal and animal world and myself were going about our business, but in
different time-lines. I am not a colourist, and when I picture, I picture in
black and white. But it depends how a photograph is considered. Black and white
offers a dissimilitude, maybe more fertile to the imagination, maybe more
timeless. Whereas colour may add another language. In 2007, with Marie Combes,
we were exploring the photographic medium, more than the actual image... We
worked with a pin-hole camera on Polaroids. It was a weird experience, dealing
with distance. Like when a landscape seen through the windscreen catches your
attention, you stop and get out of the car, and the visual impression has
gone... With a pin-hole camera it is not possible to organise layers of space in
the image, or to know what colours will result from a random exposure time, the
relative position of the sun, and the chemistry of the Polaroid. But most of
all, we were perturbed by the long exposure, ten seconds to several minutes, we
physically experienced this, knowing that during this time an image was coming
to life, practically without any action on our part. It may be an intrinsic
quality of photography to signify time, beyond what is shown.
Your work on
the landscape gives food for some thought on time. In your pin-hole camera
images and your videos you unfold the landscape. For Montromant, you
filmed infinitesimal changes in light for over 3 hours. What experience of time
does a landscape give you to see ?
Looking at a landscape is a complex process. The eye goes into the
distance, lingers here and there, wanders away again, hovers over details. This
movement between the eye and the brain, bridging gaps and discontinuities,
creates the whole, the landscape. After the pin-hole camera experience, Marie
and I wanted to see how time and duration relate. Technically, « Montromant »
is a three hour photographic sequence, during which we took a photograph at
irregular intervals. These digital images were edited using cross dissolve,
projecting the landscape in a thirteen minute video where the duration of light
variations are credible to the eye, although the actual time has been
compressed. Cross dissolve shows images appearing-disappearing, deletion of an
image so that the next one can take its place. It is indeed a way for the
landscape to creep out of its folds by proximity with contemplation, to be and
not to be there.
Your recent
work is on soils. Landscapes and soils are very much linked. How did this shift
come about? What material do you find there? What memories of the landscape are
written into the soil ?
They say an image often contains the next one. I believe that beyond the
pretext of the subject, the artist is there to show, to materialise something
he is not aware of and that belongs to the medium, the shapes, the light. The
series on soils in black and white gets rid of the distant, to try to find a
landscape at a different scale. Here I again work with diptychs, maybe to
remember they are only fragments, not to be misled by the false whole with its
two perspectives. Sometimes there is a bad cut, a repetition of a part of a
photo in the other, two identical details, but in a different moment, a few
seconds before or after. Such accidents, such random occurrences, are very
precious. There was also a certain frontal approach in the image. I tried to
develop this by photographing the soils from above. But this did not work
properly in black and white, and I had to work in colour by necessity, and for
the first time I came to worry about colours. The soil is the living memory of
places. It is the depositary of time, of our activities, of traces, it moves
and changes shape, new sediments settle in. A machine will plough it around,
lay down asphalt, things will disappear, we will forget, and the nit will all
start over again. Soils are like a film that continually records prints,
changes in light, the passage of time.
You also
looked at the idea of ruins in the landscape. In particular in rural landscapes. What was the origin of this interest? Is it another aspect of your
preoccupation with time?
This is very difficult to answer. We had a project in this field, but i think it was too ambitious for us. We thought we could work on a subject that would go beyond the fashionable “ruinism”, aesthetising industrial ruins. We wanted to use a wonderful and moving text by Diderot on the feelings ruins evoked in him. This has been a failure, I think we did not leave enough to chance, we did not keep our minds open enough, we wanted to master the subject, to illustrate the text, in short too much prejudice and presumption.
This is very difficult to answer. We had a project in this field, but i think it was too ambitious for us. We thought we could work on a subject that would go beyond the fashionable “ruinism”, aesthetising industrial ruins. We wanted to use a wonderful and moving text by Diderot on the feelings ruins evoked in him. This has been a failure, I think we did not leave enough to chance, we did not keep our minds open enough, we wanted to master the subject, to illustrate the text, in short too much prejudice and presumption.
To conclude,
I would like to discuss how the landscape relates to the contemporary. Pour finir,
j'aimerai qu'on aborde la question du contemporain dans le paysage. Agamben wrote : « Contemporary is he who is
hit full in the face by the beam of darkness coming from his time ». What
contemporary do you see in the landscapes you film or photograph ?
The video scene is, I believe, more keen to explore and less embarrassed by
market constraints than photography. Video creates a different language than
cinema, in particular with respect to time. A different space also, where the
frame loses power and bursts out of the screen. A video camera can be placed
anywhere, and when it is placed on the body it becomes its extension. This is
fascinating, it changes the outlook of the spectator, as well as his
temporality. The spectator is no longer bound to the place assigned to him in
Europe by perspective since the Renaissance. It seems to me that being a
contemporary does not consist in filming or photographing our present, but in
seeing the links between present and past, in being a transition, in becoming a
bridge, but a bridge constanly and simultaneously made and unmade, not knowing
where the other bank may be...
Interview
made on 26.03.2014
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